L’histoire architecturale de La Tulipe témoigne de l’esprit de renouveau qui a marqué les années 1960 et de la conviction que l’architecture et la science, ensemble, peuvent contribuer à façonner un monde meilleur.
Construit au début des années 1970, le bâtiment connu sous le nom de La Tulipe se situe entre l’Hôpital cantonal et la Faculté de médecine. Conçu pour accueillir la Fondation pour Recherches Médicales, il incarne la convergence entre innovation architecturale et ambition scientifique. Imaginé par l’architecte Jack Vicajee Bertoli (lien vers la site de Jack Bertoli) et l’ingénieur Claude Huguenin, l’édifice est à la fois un espace de laboratoires fonctionnels mais aussi un symbole de l’optimisme genevois de l’après-guerre, marqué par l’investissement dans la recherche et la santé.
Inauguré en 1972, le bâtiment fut rapidement adopté par la population genevoise, qui le surnomma affectueusement La Tulipe en raison de sa forme florale.Commandé à une époque de fort soutien public aux infrastructures scientifiques et à l’expression culturelle, le bâtiment demeure aujourd’hui une affirmation architecturale audacieuse. Suspendu au-dessus du sol par un pilier central en béton, son volume vitré et sa géométrie singulière continuent d’intriguer, d’inspirer et de marquer le paysage du quartier médical de la ville.


La Fondation pour Recherches Médicales fut portée par un trio visionnaire : Anita Oser, descendante de la famille Rockefeller et promotrice d’une architecture socialement engagée ; le Dr Gaston Zahnd, endocrinologue pionnier ; et Jack Bertoli, architecte cosmopolite d’influences indiennes, britanniques, italiennes et suisses.
Animés par le désir commun d’améliorer la qualité de vie grâce à la science et à l’urbanisme, ils imaginèrent un lieu capable d’accueillir une recherche médicale interdisciplinaire, tout en incarnant des valeurs esthétiques et symboliques. Leur collaboration aboutit à la création d’une fondation mêlant soutien public et privé, incluant l’État et l’Université de Genève. Leur ambition : offrir un environnement technologiquement avancé pour la recherche médicale, tout en redéfinissant les standards de l’architecture institutionnelle.



L’architecture de La Tulipe traduit à la fois une exigence pratique et une vision artistique. Elle accueille laboratoires, bureaux, locaux techniques, salle de conférence et animalerie, le tout dans un volume compact intégré en milieu urbain. Des tunnels souterrains la relient à l’Hôpital universitaire de Genève et au bâtiment de recherche de la Faculté de médecine.
Le projet de Bertoli repose sur quatre principes : fonctionnalité, ampleur des espaces, lumière naturelle et couleur. L’édifice prend la forme d’un cube de verre suspendu sur un socle sculptural en béton, minimisant son emprise au sol et créant un espace extérieur malgré les contraintes spatiales.
Cette structure suspendue, rendue possible par l’usage du béton précontraint et de 56 renforcements internes, offre une grande flexibilité dans l’aménagement intérieur des étages de laboratoires. Les façades sont composées de vitrages filtrant la chaleur, importés des États-Unis.
À l’intérieur, un plan modulaire organise les espaces de travail autour d’un noyau central, favorisant l’adaptabilité aux besoins évolutifs de la recherche. L’ensemble conjugue expressivité et rationalité, reflet de l’excellence scientifique qu’il accueille.

Depuis son inauguration, La Tulipe s’est démarquée de son environnement, suscitant débats publics et professionnels. Admirée pour son originalité et sa modernité, mais critiquée pour son coût et son apparence inhabituelle, elle a progressivement conquis une reconnaissance positive. On l’apprécie désormais autant pour son design novateur que pour son échelle humaine et sa lumière naturelle généreuse - qualités rares dans les bâtiments de recherche.
L’édifice est aujourd’hui largement reconnu pour sa valeur architecturale. Présenté dans des revues spécialisées, il a été intégré à des ouvrages sur les grandes réalisations suisses en béton du XXe siècle et figure en bonne place dans l’Atlas of Brutalist Architecture (Lien vers site livre) publié par Phaidon.


La Tulipe est un monument architectural unique. Inscrit dans la tradition corbuséenne où la forme conditionne la fonction, il en dégage une poésie singulière. Comparé tour à tour à une fleur, un bijou ou une sculpture, il dépasse son rôle utilitaire.
Les influences de Jack Bertoli sont perceptibles : le plan modulaire de Le Corbusier ainsi que la tulip table d’Eero Saarinen qui a probablement inspiré la colonne centrale. Le socle sculpté en béton évoque des formations naturelles, tandis que le cube transparent renforce l’idée de légèreté et d’ouverture.
Cette dualité - entre masse enracinée et transparence suspendue - constitue l’âme du bâtiment. Elle reflète l’esprit des années 1960 et la vision personnelle d’un architecte marqué par une pluralité de cultures et de courants intellectuels.
En 2013, l’édifice a été officiellement inscrit au patrimoine architectural de Genève, consacrant sa valeur culturelle et historique.



Plus de cinquante ans après son inauguration, La Tulipe porte les marques du temps. Le béton montre des signes d’érosion et les fenêtres d’origine, bien que remarquables, ne répondent plus aux standards actuels d’isolation et d’efficacité énergétique.
Entre 2019 et 2024, des études et des travaux de rénovations ont déjà été entrepris en collaboration avec B+S Ingénieurs SA et Meier + Associés Architectes, mais il reste beaucoup à faire.
Consciente de la valeur historique et architecturale du bâtiment, la Fondation a lancé une campagne active de levée de fonds. Objectif : réunir les moyens nécessaires à une rénovation complète alliant modernisation technique et respect de son caractère distinctif. Il s’agit de redonner à La Tulipe sa pleine fonctionnalité tout en préservant son dessin d’origine et son héritage durable.

La Tulipe est plus qu’un bâtiment : c’est un symbole durable d’ouverture, d’ambition et de liberté créative. Il continue d’incarner l’harmonie entre forme architecturale, recherche scientifique et progrès humain.
Quel rôle pour La Tulipe aujourd’hui et demain ? Alors que la Suisse affirme de plus en plus la connaissance comme sa ressource la plus précieuse, et que Genève renforce son rôle de pôle d’innovation, la Fondation s’attache à relever de nouveaux défis, notamment dans le domaine de la recherche translationnelle. Dans ce contexte en constante évolution, La Tulipe demeure à la fois un lieu de travail fonctionnel et un repère culturel – rappel qu’une architecture visionnaire peut transcender le temps et continuer de servir les générations futures.

La tribune de Genève
Article de presse, La tribune de Genève, numéro 7, 223-38, 148, 87
January 1970September 1971June 1972April 1974

Faces
Journal d’architecture, Faces, numéro 70, printemps 2011, « La Tulipe, organisme modifié » de Maïlis Favre
June 2011

Wallpaper
Article, Wallpaper, de Jonathan Glancey, “A brutalist beauty by Jack V Bertoli”, 24
September 2024